Depuis le début du confinement le 16 mars 2020, les parents séparés, divorcés ou non mariés, ayant réglé ou non l’exercice de l’autorité parentale vis-à-vis de leur(s) enfant(s) sont amenés à se poser de multiples et importantes questions sur l’organisation des modalités de garde de leurs enfants, sur le maintien ou non de la pension alimentaire, ou encore sur les décisions liées à l’état de santé de leur(s) enfant(s).
Cet exposé va permettre de répondre à de multiples interrogations.
1️⃣ Quelles sont, tout d’abord, les règles « classiques » en matière de confinement et d’organisation du droit de visite et d’hébergement ou de garde alternée ?
La règle est simple : malgré le confinement, les modalités d’hébergement habituelles des enfants doivent continuer de s’appliquer normalement, qu’il s’agisse d’une garde alternée, ou d’un simple droit de visite et d’hébergement.
Les déplacements en lien avec la « garde » des enfants font en effet partie de la liste des déplacements qui sont autorisés pendant le confinement. Les parents séparés ou divorcés peuvent donc se déplacer pour récupérer ou déposer leurs enfants au domicile de l’autre parent.
Les parents devant aller chercher ou déposer leurs enfants au domicile de l’autre parent devront alors se munir de l’attestation de déplacement dérogatoire, téléchargeable ou à écrire sur papier libre et cocher la case 4 « déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance aux personnes vulnérables ou la garde d’enfants », pour justifier leur déplacement entre les deux domiciles en cas de contrôle.
Outre l’attestation de déplacement dérogatoire, on ne peut que conseiller aux parents de se munir du jugement, de la convention de divorce, ou de la convention parentale qui précise les modalités de garde de leurs enfants.
Si aucune mesure fixant les modalités de garde des enfants n’a encore été mise en place, et que c’est sur la base d’un accord amiable que les visites se font, un simple accord écrit ou tout élément écrit prouvant une entente entre les parents pourrait suffire.
2️⃣ Dans quel cas puis-je « garder » mon enfant ou dans quel cas est-il justifié de ne pas pouvoir le voir ?
En d’autres termes, le parent séparé peut-il, au vu du contexte de crise sanitaire, être dans l’impossibilité de voir l’enfant, refuser de remettre le/les enfant(s) à l’autre parent ? Ou se voir refuser d’exercer son droit de visite et d’hébergement ou la garde alternée durant la période de confinement ?
Il y a plusieurs situations :
2.1) La fermeture des lieux d’accueil (lieux médiatisés) suspend de facto le droit de visite du parent non hébergeant le temps du confinement
Le temps du confinement, tous les lieux médiatisés dédiés aux rencontres parents-enfants sont fermés, afin d’éviter la propagation du COVID-19, ce qui entraine deux conséquences :
▶️ D’une part, le parent chez qui la résidence de l’enfant est fixée et qui se retrouve dans l’impossibilité d’amener l’enfant dans le lieu d’accueil ne saurait se voir reprocher cette situation qui n’est pas de son fait.
▶️ D’autre part, le parent non hébergeant ne peut pas exercer son droit de visite, qui se trouve suspendu le temps du confinement.
A mon sens toutefois, en fonction des raisons qui ont amené le Juge à fixer un tel droit de visite dans un tel lieu, le parent qui héberge l’enfant pourrait décider à l’amiable, une extension éventuelle du droit de visite (éventuellement à son domicile) en mesurant toutefois l’impact de cet accord vers un éventuel élargissement pour le futur.
Il n’a toutefois aucune obligation de le faire.
Néanmoins, l’idée étant de ne pas couper le lien de l’enfant avec le parent qu’il ne voit pas, il pourrait proposer à la place, de communiquer avec l’enfant en fonction de son âge par les divers moyens de communications (SMS, WhatsApp Messenger, courriel (email), etc.)
2.2) Un accord commun des parents séparés pour une suspension droit de visite et d’hébergement ou la garde alternée
En principe, tous les jugements et conventions parentales fixant les modalités d’exercice de l’autorité parentale des enfants sont attribués « à défaut de meilleur accord », ce qui veut dire que les parents ont toujours le droit d’y déroger, s’ils s’arrangent entre eux.
Au vu des circonstances actuelles et des craintes pouvant exister sur le risque de contamination au Covid-19, il serait, me semble-t-il, parfaitement légitime et de bon sens, que les parents séparés trouvent un terrain d’entente afin de réorganiser provisoirement ses modalités de garde.
Les parents pourraient, par exemple, s’entendre pour qu’un des parents garde le ou les enfants le temps du confinement, et qu’en contrepartie, l’autre parent puisse exercer son droit de visite et d’hébergement plus longtemps, ou de manière plus fréquente et rapprochée, pour rattraper le temps qu’il n’a pas passé avec son enfant pendant son temps de garde.
Dans ce cas, je préconiserai plusieurs solutions :
▶️ La rédaction d’un accord écrit : Aucun formalisme n’est imposé. Cet accord peut être rédigé sur papier libre, daté et signé par les deux parents. Il peut aussi être consigné dans un acte d’avocats, si les parents le souhaitent (email, ou même sms, etc.) ;
▶️ Le maintien par le parent qui garde l’enfant, des liens à distance par les divers moyens de communications (SMS, WhatsApp, Messenger, email, etc.) ;
▶️ Pour l’avenir, une « compensation » du temps pendant les vacances scolaires ou autre, allonger le droit de visite et d’hébergement sur une autre période, etc.
▶️ Diminuer/augmenter la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.
2.3) En cas d’absence d’accord des parents, quelles sont les raisons qui pourraient amener le parent à suspendre les modalités d’exercice de l’autorité parentale, c’est-à-dire à « garder » l’enfant ?
2.3.1. Garder l’enfant s’il est de son intérêt supérieur de rester à tout prix confiné
Le motif légitime pour garder ou refuser de remettre l’enfant pourrait, à mon sens, reposer sur « l’intérêt supérieur » de ce dernier. Difficile alors, lorsque cette notion est mise en avant par le parent qui garde l’enfant, de contester sa position qui parait pour le moins légitime, à condition qu’elle repose sur des critères sérieux.
Juridiquement, cette notion d’ « intérêt supérieur » provient de l’article 3-1 de la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant, ensemble l’article 371-1 du Code civil, instaurant selon le premier de ces textes, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être une considération primordiale, et selon le second, que l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.
A mon sens, faire valoir « l’intérêt supérieur » constituerait alors un renfort à justifier sa position pour le parent séparé dans les hypothèses où l’enfant serait placé dans une situation manifestement contraire à son intérêt.
2.3.2. Quels seraient les critères permettant de justifier de « l’intérêt supérieur » de l’enfant ?
A l’heure actuelle, aucun critère légal ou jurisprudentiel n’a été donné ni même aucune décision politique n’a été prise sur le sujet.
Je pense toutefois que l’on pourrait proposer comme critères suffisants, les éléments suivants :
▶️ La fragilité de l’enfant en fonction de son âge et son état de santé (éventuelles pathologies médicales, etc.) ;
▶️ Le risque particulier d’exposition de l’enfant au parent exposé au Covid-19 du fait de sa profession : De nombreux parents exercent des professions qui peuvent être, plus ou moins exposés au Covid-19 (médecins, membre d’un EPAHD, personnel soignant, ambulancier, fonctionnaire de Police, etc.) ;
▶️ Le non-respect du confinement par le parent qui expose alors l’enfant à un risque de contamination non négligeable.
Ces éléments ne constituent néanmoins pas une solution unique et suprême permettant de régler tous les conflits car il faut voir la situation au cas par cas.
2.3.3. Que risquerait le parent séparé qui « garderait » l’enfant ?
Il est rappelé que les modalités d’hébergement habituelles des enfants fixées dans un jugement, ou une convention parentale ou un accord amiable, doivent en principe être respectées, malgré le confinement. Cela signifie qu’en principe, un parent ne peut pas refuser de remettre (ou ne doit pas le garder) un enfant pour l’exercice de son DVH ou de la garde alternée.
Si le parent ne respecte pas ce principe, en théorie, le parent qui doit recevoir l’enfant serait en droit de porter plainte pour non-présentation d’enfant (article 227-5 du Code pénal).
Si toutefois le parent n’a pas encore de jugement formalisant l’exercice de l’autorité parentale, aucune plainte ne pourra être déposée sur ce chef d’infraction. Seule une main courante faite au Commissariat (ou tout écrit) pourrait alors permettre de se constituer une preuve de l’atteinte à un accord non respecté à présenter ultérieurement devant le Juge.
Néanmoins, la poursuite du parent séparé sur le fondement de cette infraction paraît, à mon sens, peu probable par le Ministère public s’il est à même de justifier de l’intérêt supérieur de l’enfant comme motif légitime de ne pas remettre l’enfant à l’autre parent à la date prévue.
Le confinement pourrait alors constituer en lui-même un «fait justificatif» du délit de non- représentation d’enfant.
2.3.4. En toute hypothèse, toutefois, dans le cas où le parent déciderait de ne pas remettre l’enfant :
▶️ Il devra privilégier la bonne entente et proposer éventuellement une médiation familiale (le Barreau de Paris organisant cette initiative actuellement avec le soutien des avocats pour chaque parties) ;
▶️ Il faudra apporter des preuves de ces critères, privilégier l’écrit et prévenir préalablement le parent de la prise de décision de « garder » l’enfant, etc.
▶️ Là encore, il sera opportun de maintenir les liens à distances en continuant le contact par tous moyens de communication, etc., proposer de compenser l’absence de l’enfant par plus de temps dans le futur,
3.1) Le parent débiteur (qui reçoit la contribution) qui a exceptionnellement plus longtemps l’enfant afin les protéger pendant le confinement, peut-il exiger une augmentation de la contribution ?
En théorie, le montant de la contribution ne peut pas être changé sauf accord contraire ou décision modificative d’un Juge aux affaires familiales.
Le parent qui a de plus faibles ressources et au regard des besoins de l’enfant également, pourrait toutefois tenter un rapprochement (écrit à privilégier) en présentant les dépenses exceptionnelles liées au confinement et solliciter, a minima, le remboursement de moitié si ce n’est de la totalité.
A défaut d’accord, le parent qui a fait la dépense devra garder trace de ces dépenses et, en cas de litige éventuel devant le Juge, pourra expliquer la situation pour tenter de justifier une augmentation de la pension.
3.2) Le parent qui n’a pas la résidence habituelle de l’enfant et qui verse habituellement une contribution pour l’enfant, doit-il suspendre le versement s’il reçoit à temps plein le temps du confinement l’enfant afin le protéger ?
(cas par exemple lorsque l’un des parent es soignant (ou a une profession en contact avec le Covid-19)
En principe, le parent créancier (qui verse la contribution) n’a pas à suspendre le versement, d’autant plus que souvent certains frais comme ceux des activités scolaires ou extra-scolaires continuent d’être prélevés (les activités se font parfois au cours du confinement par vidéo ou autre).
On peut toutefois comprendre qu’il souhaite le faire s’il vient à garder l’enfant pendant au moins 6-8 semaines et qu’il assume seul tous les frais sans aucune contrepartie.
Il faudra alors trouver un arrangement entre les parents sans que toutefois le parent créancier ne mette comme condition l’hébergement de l’enfant à la suspension de la pension, visant par exemple à réajuster le montant de la pension, ou allonger le temps futur pour l’autre parent, etc.
4️⃣ Les décisions relatives à l’état de santé des enfants
D’une façon générale, les décisions relatives à l’état de santé des enfants relèvent de l’autorité parentale des père et mère. Le cadre du confinement n’altère en rien les règles relatives à l’autorité parentale. Les décisions relatives aux soins à donner à l’enfant doivent donc être prises selon les règles habituelles.
Il faut rappeler à ce titre que l’article 372-2 du Code civil dispose que « A l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant. ».
En d’autres termes, les tiers qui traitent avec les parents doivent s’assurer qu’ils sont tous les deux d’accord pour réaliser l’action projetée.
Pour les actes usuels (généralement ce sont les actes courants, les plus simples), il leur suffit cependant d’obtenir l’accord d’un seul parent, l’accord de l’autre étant alors présumé, sous la réserve que le tiers soit de bonne foi. Pour les actes non usuels, il faut impérativement l’accord des deux parents.
Cette règle indispensable pour l’exercice de l’autorité parentale et préserver les droits des parents et de l’enfant est néanmoins délicate à manier car la notion d’actes usuels est purement factuelle et ne correspond pas à une catégorie autonome de décisions parentales. Aucune liste n’a été émise.
Qu’en est-il s’agissant des décisions médicales, et notamment actuellement en cette période de confinement et du risque d’atteinte au Covid-19 ?
4.1) Suis-je fondé à déposer plainte pour mise en danger d’autrui si mon enfant est exposé (ou a été) au Covid-19 ?
La définition de mise en danger de la vie d’autrui est prévue par l’article 223-1 du Code pénal et sanctionne une personne si elle a exposé une autre à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
Certes, plusieurs personnes ont été placées en garde à vue, pour mise en danger de la vie d’autrui, alors qu’elles n’avaient pas respectées les mesures de confinement. Il semblerait que les personnes qui ont été placées en garde, avaient préalablement été verbalisées à plusieurs reprises pour être sortis sans motif valable.
Il est cependant difficile de savoir si l’infraction est constituée dans le cas où le parent expose l’enfant au Covid-19.
En particulier, l’existence d’un lien de causalité « direct » entre le non-respect des mesures de confinement par le parent séparé et l’exposition à un risque immédiat de mort ou de blessures paraît difficile à établir avec certitude, dans la mesure où cette question relève davantage de débats scientifiques.
Pour l’heure, l’infraction de mise en danger doit être maniée avec précaution.
A mon sens, elle ne pourrait être constituée (sous réserve de l’appréciation de l’autorité de poursuite et des Juges du fond), qu’en cas de non-respect grave et répété des mesures de confinement mises en place comme une exposition certaine à une personne contaminée.
4.2) Ai-je le droit de soumettre mon enfant que je crois atteint du COVID-19 à un simple examen médical, sans l’accord de l’autre parent ?
Si l’enfant est malade et qu’il est susceptible d’être atteint du COVID-19, le parent qui l’a sous sa garde peut parfaitement appeler « le 15 » puis le faire examiner par un médecin, sans qu’il y ait besoin de l’accord de l’autre parent.
La jurisprudence semble considérer que sont des actes usuels de l’autorité parentale, et peuvent donc être faits par un parent seul, les soins obligatoires (vaccinations, sous réserve de la connaissance de la position de chacun des parents sur le sujet qui fait parfois l’objet d’un débat entre les parents), les soins courants (blessures superficielles, infections bénignes) et les soins habituels (poursuite d’un traitement).
Le Conseil National de l’Ordre des médecins confirme cette liste, considérant que ces actes sont présumés être donné avec l’accord des deux parents.
4.3) Ai-je le droit de faire hospitaliser mon enfant atteint du COVID-19, sans l’accord de l’autre parent ?
Si l’enfant est effectivement malade et que l’hospitalisation est nécessaire à la sauvegarde de son état de santé, le parent qui l’a sous sa garde doit recueillir l’accord de l’autre parent pour faire hospitaliser l’enfant.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins range en effet dans la catégorie des actes non usuels, nécessitant l’accord des deux titulaires de l’autorité parentale, les hospitalisations prolongées, les traitements comportant des effets secondaires ou ayant des conséquences invalidantes, les actes invasifs tels anesthésie, et les opérations chirurgicales.
Un parent ne peut donc pas, seul, prendre la décision de soumettre l’enfant à un traitement nécessitant une hospitalisation prolongée lorsque l’autre parent s’y oppose ou qu’il est impossible de recueillir son consentement.
4.4) Que se passe-t-il si l’autre parent s’oppose à l’hospitalisation de mon enfant, ou s’il est impossible de le joindre en temps utile ?
Si l’autre parent s’oppose à l’hospitalisation de votre enfant, ou qu’il est impossible de recueillir son consentement en temps utile, l’article R. 1112-35 du Code de la santé publique autorise le médecin à prendre seul la décision de soins en cas d’urgence, c’est-à-dire si la santé ou l’intégrité corporelle du mineur risque d’être compromise.
Un dispositif exceptionnel permet toutefois au médecin de passer outre l’absence d’accord des parents (ou de l’un deux) ou s’ils sont injoignables, lorsque la situation de l’enfant présente un cas d’urgence (si sa santé ou l’intégrité corporelle du mineur risque d’être compromise), pour donner tous les soins nécessaires.
Sophia BINET
Avocat au Barreau de PARIS
19, Boulevard de Sébastopol
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